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Les Pieuvréeennes
1. Les trois coeurs

mercredi 15 novembre 2006, par Piovr Octopovitch

Un jour, ma vie bascula dans l’incroyable. C’était un jour ordinaire. Du moins, il en avait l’apparence. C’est avec le recul que l’on s’aperçoit que sa vie a basculé, un jour comme ça, à l’air ordinaire. Et c’est une sacrée bascule dont il s’agit ! Ce n’est pas le genre d’histoire d’un fils qui découvre par hasard qu’il n’est pas le vrai fils caché de son père ayant enfanté avec une inconnue qui n’est même pas la célébrité que l’on soupçonnait ! Je ne venais pas d’être frappé de sénilité précoce, ni de gagner au loto, ni de perdre aux impôts. Je n’étais pas sur le point d’être incarcéré, en prison, en hôpital psychiatrique, ou dans une entreprise. Tout ça, c’est de la gnognote à la noix à côté de mon histoire, qui est bien au-delà des concepts aventure / mésaventure.

Bon, le mieux, c’est de vous raconter tout ça depuis le début, et de vous révéler, étape par étape, les évènements déstabilisants qui me sont arrivés.

Au début, donc, à ce que j’en sais, c’était il y a dans les treize virgule sept milliards d’années : le Big bang. A un moment, treize virgule sept milliards d’années après ce Big-bang, je suis né. Ça, c’est sûr, puisque j’existe. Une trentaine d’années plus tard, un après-midi, je crois, j’éprouvais le besoin de m’allonger un peu sur mon lit. Ça devait être vers les seize heures. Je m’allongeai alors sur le lit, et sur le dos, enfin, je ne m’étais pas allongé sur mon dos, ce qui est impossible même pour un contorsionniste, je m’allongeais dos sur le lit. Je m’allongeais, comme ça, sans écouter de musique, sans éprouver le besoin de dormir, de somnoler, ni de « flancher un peu », choses qui m’arrivent souvent, je suis en effet plus proche de l’adepte de la sieste que du féru ultra-speed de travail. Le travail, il faut savoir le tenir, autant que possible, à distance, « en respect », ne pas plonger sans retour en lui à s’y noyer dans la folie des heures sup’ loin des doux rivages de hamacs.

Allongé dos sur le lit et éveillé, je laissais mon cerveau en veille, ne pensant à rien de particulier. Je venais d’arroser la plante qui avait jailli d’une pomme de terre germée plantée quelques mois auparavant dans un pot disposé sur le balcon orienté Sud de mon appartement. La plante prenait une ampleur qui allait au-delà de toutes mes espérances. Je la mesurais régulièrement et, ce jour-là, elle venait d’atteindre une taille de soixante huit centimètres de haut. Je tenais quotidiennement un tableau de la taille de la plante en fonction des heures. Il lui était arrivé de pousser de plusieurs centimètres en une journée ! Le point culminant fut de un virgule cinq centimètres en une heure et demi ! J’avais sabré une bouteille de rouge en constatant ça ! Et oui, je suis très émotif. La barrière psychologique des soixante-dix centimètres semblait proche, et je m’en réjouissais d’avance. Mais, allongé sur mon lit, ce n’était pas à ça que je pensais à ce moment-là. Je m’efforçais de ne penser à rien du tout, à vrai dire. Je me concentrais pour arriver à « faire un vide » dans le tête. « Faire UN vide », et non « faire LE vide », la distinction est importante, car je ne suis pas certain qu’une fois arrivé à « emplir » totalement sa tête de vide, on arrive ensuite à la remplir de nouveau de ce qui y existait auparavant. « Faire LE vide », si c’était possible, n’est peut-être pas réversible. Vous voyez, en essayant de « faire un vide », je fournissais un effort mental important, je pensais. L’impasse, quoi.

À un moment, je sentis une fatigue désagréable, proche du malaise. J’étais allongé sur mon lit, je ne risquais donc rien, et sûrement pas la chute. Je décidais alors d’attendre que ça passe. Mais ça ne passait pas. J’aurais voulu à ce moment là m’allonger encore plus. Mais comment faire, quand on est déjà allongé, et qu’on éprouve toujours le besoin de s’allonger ? Cherchez pas, y’a pas moyen ! J’ai alors eu recours à quelques artifices. J’ai changé plusieurs fois de position, j’ai même essayé de m’allonger psychologiquement dans ma tête, rien n’y faisait. J’ai aussi essayé de me parler doucement dans la tête pour m’endormir, de me chanter des berceuses, mais je n’écoute que du punk-hardcore, alors j’ai pas vraiment les références culturelles en tête niveau berceuses.

Rien n’y faisait.

Je saisi alors le journal local, trouvé dans la poubelle du hall de mon immeuble. Je n’allais quand même pas acheter la presse départementale, propriété d’un marchand de canons, question d’éthique. Il datait de quelques jours, mais ce n’était pas important. Vu la qualité généralement médiocre et peu téméraire et imaginative du média, on y retrouve toujours quasiment les mêmes choses. Alors, une semaine ou l’autre, hein, on y voit pas une grande différence. Je comptais juste feuilleter les pages puis laisser choir le canard à terre. Je semblais me requinquer un peu, peut être parce que je pensais à autre chose que de « m’allonger plus » ou de « faire un vide » réversible dans la tête. Oeil du cyclone ou vrai début de rétablissement ? J’entrepris la lecture d’un article en attendant que ça se précise. « Un forcené interpellé au lavomatic ». Les faits divers, toujours. « Hilgard B, résidant depuis vingt-cinq ans sans histoires au quartier des Funambules, a subitement entrepris de dévaster hier, dimanche, le lavomatic de la rue de la Ficelle. » Soit. « De sources policières... » Les sources sont souvent policières dans cette presse. « ...le forcené, en léger état d’ébriété, a été victime d’une bouffée délirante, persuadé qu’une pieuvre avait tenté de le saisir alors qu’il commençait à sortir son linge de la machine à laver. La pieuvre aurait tenté de faire entrer Hilgard B dans la machine à laver, du fond de laquelle elle semblait provenir. Monsieur B a affirmé aux policiers qu’il a réussi non sans mal à se dégager des tentacules de l’animal et à refermer le hublot. En état de choc, il est parti chez lui, dans le voisinage, chercher le marteau avec lequel il mettait en pièces le lavomatic quand les policiers s’emparèrent de sa personne. Hilgard B est à l’heure actuelle en observation à l’hôpital psychiatrique des Méninges. » Drôle d’histoire, mais, je n’avais pas la possibilité d’y cogiter, j’allais de mal en pis.

Allongé sur le dos, j’étais au plus mal, le coeur battant la chamade. Ma poitrine gauche palpitait sévère. Pire, ça semblait palpiter aussi dans mon ventre, et tout au milieu de mon corps, comme si... Comme si... La pensée était trop effrayante pour oser la formuler posément. Je la jetai donc direct dans ma tête : comme si j’avais trois coeurs. Celui de l’emplacement habituel d’abord. Je posai la main dessus, chamade, mais ralentie par mon effort de concentration : je cherchais à comprendre. Chamade, mais moins chaotique. Je posai ensuite la main sur le ventre, ça palpitait pareil ! Retour du chaotique. J’avais bien au moins deux coeurs ! Et sûrement un troisième au milieu, plus en profondeur, inaccessible au test de la main, je sentais néanmoins sa présence très distinctement. Mais qu’est-ce qu’il m’arrivait ? Je perdis connaissance.

Le lendemain, ça allait bien, je repris mon tonus standard, mais je percevais toujours très distinctement la présence et les battements de mes deux coeurs surnuméraires accompagnant désormais mon coeur « classique » ou « principal » - je ne savais pas trop comment l’appeler. Je m’efforçais - mais pouvais-je y arriver ? - d’oublier cette ahurissante histoire et me trouvais bien bizarre de me faire des idées pareilles ; j’espérais sans vraiment y croire que tout cela était des idées, scénario pas très rassurant non plus, pour être franc. Etait-ce donc ça, franchir la ligne, perdre la boule, était-ce possible d’halluciner à ce point là, de façon si réaliste ? N’est-ce pas le propre des hallucinations, justement, d’avoir l’air réelles ? Si j’avais commencé à onduler sévère de la toiture, il était devenu bien trop dangereux pour ma liberté d’aller consulter un psy, je risquais fort de finir « en état d’observation à l’hôpital psychiatrique des Méninges » comme le type du journal de l’autre jour. Tiens, étais-je devenu comme lui ? Tenait-il sa pieuvre de lavomatic pour autant réelle que moi avec les battements de mes trois coeurs ? Je décidais d’attendre, de prendre du recul avec cette affaire.

Les semaines commencèrent à se succéder, et le petit train-train quotidien continuait sa route, avec moi à son bord, comme d’hab’, peut-être un peu plus fou qu’avant. J’avais toujours mes trois coeurs, mais ça me dérangeait moins, je trouvais presque ça normal, je commençais à m'y faire. Après tout, mon système circulatoire fonctionnait bien, pourquoi s’en plaindre alors ? Et le forcené de la rue de la Ficelle, il est toujours « en observation ? » Est-ce que, depuis, il s’est habitué à ce que des pieuvres vivent dans les machines à laver des lavomatic ? C’est peut-être normal pour lui, comme pour toi d’avoir trois coeurs ! Je doutais encore un peu, mais je stressais nettement moins que les premiers jours – je sentais qu’une nouvelle existence avait commencé –, pour preuve, je gérais sans problèmes particuliers ma vie de tous les jours.

Au bout de trois mois, je décidais de trouver un prétexte pour qu’un médecin me fasse faire des radios des poitrines et du ventre, pour en avoir les coeurs nets. C’était risqué. Si ma particularité anatomique était très rare, voir unique, qui sait si je n’allais pas devenir un cobaye de laboratoire ? Je voyais très bien, avec dégoût, un grand bocal de formol contenant ma triptyque cardiaque avec inscrit sur une étiquette collée sur le verre « les trois coeurs d’Octambule Ristangoule » - c’est mon nom. Je pris la décision de fuir à toutes jambes au moindre signe suspect du médecin le jour de l’arrivée des radios. Et ce jour arriva bien plus vite que je ne l’avais désiré, agacé par cette foutue image en tête de bocal aux trois coeurs. Ces sadiques le mettront un jour au musée, ton bocal, rappelle-toi, « Les trois coeurs de Monsieur Ristangoule », les écoliers iront le voir, apeurés et intrigués, « ça les calmera », penseront les instits. Tu seras un peu une bête de foire, enfin, tes coeurs le seront. Le médecin, radios en mains, était hilare. « Jamais vu un truc pareil ! Je ne le devrais pas, mais je ne peux pas y résister, je vais vous faire voir ces radios, y sont trop cons ces étudiants en médecine, c’est vraiment réaliste, du beau travail, ça y’a pas à dire, et ça change de la bite placée dans le sac de l’infirmière, mais... regardez plutôt ! » Il me tendit les radios. On y distinguait très nettement la présence de trois coeurs. « J’ai donc bien trois coeurs » dis-je. Le médecin hilare s’arrêta tout de suite de rire quand il vit mon air sérieux. Il sembla commencer à réaliser que... Il n’en eut pas le temps. Il s’affala sur le sol après que j’eus cogné sur son crâne avec un cendrier décoratif en forme, oh ironie, de crâne.

Je sortis en chapardant une revue dans la salle d’attente. Je bus une bière dans un rade après une vingtaine de minutes de marche et ouvrais la revue. « Insolite : un égoutier affirme avoir été attrapé par une pieuvre dans le réseau Nord des égouts de la ville. »

Qu’est-ce qu’ils ont à délirer sur les pieuvres, les journalistes ? C’est un concourt à la con entre eux ?

« Après les alligators des égouts et les panthères noires des campagnes, nous assistons peut-être ici à l’émergence d’une nouvelle sorte de légende urbaine. Il y a quelques mois, déjà, dans un lavomatic... »

Oh là là, ils sont lourds !

J’abandonnais la revue sur la table et quittai le bar.

<<< Image de Tiswango (Voir la license)

Loin, loin de là, très très loin d’ici-même, quelque part dans la galaxie à une distance de onze mille huit cent douze années-lumière de la Terre, tourne autour d’une étoile semblable à la notre un cortège de planètes : des rocheuses, des géantes gazeuses, certaines portant des anneaux, des petites glacées, et une myriade de comètes et d’astéroïdes et même, au loin, aux confins de ce système, une petite étoile sombre de type « naine brune » à peine plus grande que la planète Jupiter, mais vingt fois plus massive. Une des planètes rocheuses, traduit en humain (était-ce seulement possible ?), porterait le nom de Piovra !. Une planète peuplée presque entièrement de pieuvres, mais des pieuvres d’une variété incroyable : des marines, des terrestres, des aériennes, des petites comme des araignées tissant des toiles entre les fleurs, des grandes comme les cachalots dans les océans et les éléphants sur les terres. Des carnivores, des omnivores, des végétariennes, des qui hibernent, d’autres pas, des qui vivent quelques semaines, d’autres des décennies, voir plus qu’un de nos siècles. Piovra !, une de ces exo-terres que les astronomes terriens cherchent avec vigueur et rêvent de détecter bientôt. Une exo-terre regorgeant de pieuvres. Transpirant de pieuvres. Débordant de pieuvres. Des tentacules grouillent dans chaque buisson, sous chaque rocher, dans la moindre anfractuosité, sur chaque branche d’arbre, dans tous les coins. Certaines vivent même dans des dunes aménagées – des « igloos de sables » – des déserts arides.

Sur Piovra !, une espèce de pieuvres a atteint un niveau mental, culturel et philosophique très élevé. Elles ont découvert notre Terre depuis bien longtemps et la scrutent de chez elles à l’aide d’observatoires astronomiques spatiaux placés en orbite dans leur système solaire en de vastes réseaux interférométriques depuis deux siècles déjà. Depuis une quarantaine de nos années, elles ont acquis la capacité technologique de passer à la vitesse supérieure et de pouvoir venir nous étudier de près. De très près. La physique quantique dodécadimensionnelle leur permet de voyager instantanément d’un point à l’autre de l’Univers, seul moyen possible pour se déplacer dans la galaxie, le voyage à la vitesse de la lumière étant trop lent vu les distances à franchir.

Le principe théorique à la base de ces voyages quantiques dodécadimensionnels repose sur la découverte par les pieuvres de Piovra !, – les Pieuvréennes – de l’existence à l’état naturel dans le cosmos de failles quantiques spatio-temporelles. Par analogie, comme il existe sur Terre des plaques tectoniques, on peut dire qu’il existe dans l’Univers des sortes de « plaques tectoniques de l’espace » de treize dimensions physiques. Ces plaques tectoniques de l’espace sont invisibles. Elles ne sont pas constitués de matière ordinaire et forment un genre de « tissu » lié – mais avec du jeu – au tissu de l’espace-temps ordinaire. Voilà les fameuses « matière noire » et « énergie sombre » devant lesquelles les physiciens et les cosmologistes terriens se cassent encore les dents.

Comme pour nos plaques tectoniques terrestres, il existe une « dérive des continents » (ou plutôt des galaxies) dans l’espace. Les plaques à treize dimensions glissent l’une contre l’autre, certaines passent « sous » (dans une autre dimension) la voisine, certaines s’éloignent l’une de l’autre (voilà l’illusion humaine d’expansion de l’Univers, notre plaque s’éloigne de l’Univers que nous pouvons observer sans que nous puissions voir les autres plaques dont nous nous rapprochons), d’autres, au contraire se rapprochent, se heurtent, se télescopent. Il s’ensuit des tensions, des accumulations de forces quand deux plaques se rencontrent. Et, un jour, c’est la rupture. Localement, à l’échelle quantique, les plaques s’effondrent et chutent de treize à douze dimensions. Le flux d’énergie colossale qui s’ensuit crée, outre de puissants rayons gamma, une faille quantique dodécadimensionnelle apte à propulser instantanément - quand un nouvel équilibre se forme après la rupture - quelque part ailleurs, potentiellement très loin dans le cosmos, tout corps quantique se trouvant à proximité de la faille. Il existe donc des « tremblements d’Univers » comme il existe des tremblement de terre, et ces tremblements d’Univers créent des passages quantiques qui s’ouvrent et se ferment spontanément et qui relient par intermittence des endroits très éloignés de l’espace.

Pour les Pieuvréennes, la clé était là.

À suivre...

Ce site, « Les fabuleuses pieuvres de l'espace », est une émanation du Site pataginaire qui, aux côtés des pieuvres de l'espace, évoque divers sujets. Les textes sur les pieuvres y figurent avec une autre présentation dans la rubrique pieuvres de l'espace. Nos recherches nous ont appris que les pieuvres de l'espace ont atteint un degré d'ontologie tel qu'elles méritaient bien qu'un site leur soit entièrement consacré.