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Les Pieuvréennes
2. Les zébrures

Dimanche 26 novembre 2006, par Piovr Octopovitch

TitanJe regrettais mon geste à l’encontre du docteur qui, il me faut bien le reconnaître, n’avait (encore ?) rien entreprit de préjudiciable à mon égard. Mais, je me sentais comme pris au piège, dos au mur, au bord de l’horrifique bocal aux trois coeurs et, justement, s’il fallait agir, ça devait être – vous le comprendrez aisément – avant que le docteur ne puisse tenter quoi que ce soit contre moi. Parce que, risquer de finir cobaye ou « monstre médical » de laboratoire, je préférais éviter.

Je regrettais éthiquement mon geste, mais l’analyse a posteriori montre que, vu le contexte, il était inévitable. La violence physique contre les personnes a toujours été étrangère à ma nature profonde. Mais la situation dans laquelle je me trouvais n’était assurément pas ordinaire. Il vous aurait fallu voir le regard du docteur quand j'eu prononcé la phrase « j’ai donc bien trois coeurs ». Il était en train de commencer à comprendre. Le docteur aurait sûrement cherché à devenir célèbre dans le monde de la médecine en étudiant un sujet anatomiquement aussi rare – peut-être même unique – que moi avec mes trois coeurs. Qui sait s’il n’aurait pas fini par me mettre le grappin dessus, par me faire subir des expériences, par vouloir gagner de la thune sur mon dos en m’exhibant dans des émissions TV-poubelles de « reality show » avant ma mort... Aurait-il été jusqu’à provoquer cette dernière ? « Avec ses trois coeurs, Octambule Ristangoule ne pouvait pas survivre bien longtemps » aurait-il dit, et les médias de masse, plus avides de spectacles, de scoops et de sensationnel que de critiques et de doute, n’auraient rien trouvé à y redire en encensant le best-seller du docteur narrant ma tragique histoire, Il avait trois coeurs. Ils semblent comme avoir rayé depuis des lustres les mots « enquête » et « investigation » de leur vocabulaire professionnel.

Le docteur aurait put alors, enfin, trépignant de jubilation, pratiquer l’autopsie – mon autopsie bordel ! – et ma vivisection – nom de Bacchus ! – , pour finir par la mise en bocal de mes muscles cardiaques. Moi, je suis bien placé pour pouvoir l’affirmer, on vit très bien avec trois coeurs, et très longtemps ! Et peut-être même plus que la moyenne car, s’il y en a un qui flanche, vous en avez deux autres qui marchent derrière ! Alors, lâche le scalpel, doc.

Ne pensez pas que ça aurait été un comble de la malchance de tomber ainsi sur un docteur si mercantile, un qui aime le pognon avant toute chose. La plupart des médecins semblent avoir enterré ou plutôt vendu depuis longtemps leur serment d’hypocrate et ne plus avoir pour axiome fondamental que « le flouze » devant lequel la santé humaine en soit – et non comme un marché « libre » avec des clients en demande commerciale de soins – pèse bien peu.

Je consultais la presse locale dès le lendemain pour me tenir informé de l’état de santé du médecin. Une brève évoquait mon affaire. « UN MÉDECIN AGRESSÉ PAR UN INCONNU DANS SON CABINET. À seize heures, hier, le docteur U a été assommé par un patient suite à la mise à disposition de ce dernier de radios. La police nous a révélé que le patient avait donné au médecin une fausse identité. L’agresseur avait-il donc prémédité son forfait ? En voulait-il particulièrement au docteur ? Les deux hommes se connaissaient-ils ? Le médecin en sait-il plus qu’il n’a bien voulu le dire ? La police garde le silence sur ces questions. Affaire à suivre... »

Le lendemain, le journal parlait encore de l’affaire, mais celle-ci prenait une tournure inattendue. « VICTIME D’UNE PRÉTENDUE AGRESSION, LE DOCTEUR U VIENT D’ÊTRE HOSPITALISÉ À L’HÔPITAL PSYCHIATRIQUE DES MÉNINGES. Semblant au début de l’enquête avoir été assommé par un agresseur mystérieux (voir notre édition d’hier), le docteur U a peut-être subit un choc bien plus grave qu’un “simple” choc physique, au point que les fonctionnaires de police en charge de l’enquête qui se sont confiés à nous privilégient désormais l’hypothèse d’une fabulation du médecin, qui serait tombé sur la tête (au sens propre comme au sens figuré) tout seul dans son cabinet et aurait ainsi quelque peu perdu l'esprit. L’“agresseur” aurait selon la victime porté un violent coup sur sa tête avec un cendrier en forme de crâne suite à la consultation de radios montrant qu’il possédait trois coeurs. Choqué par cette particularité anatomique – on le serait à moins – dont les anales de la médecine ne semblent connaître nul équivalent, le patient aurait paniqué et frappé afin de fuir. En quelque sorte, le médecin a projeté sur son malade imaginaire son propre désarroi psychologique dû à la violence de sa malencontreuse chute sur le sol qui, probablement, a aussi emporté le cendrier. Le docteur restera plusieurs semaines en observation à l’hôpital psychiatrique des Méninges. »

Cet article me plongea en plein désarroi. D’un côté, je pouvais être soulagé : je n’avais pas tué le docteur et l’abracadabrante conclusion policière – j’étais le seul, avec le docteur, à être en mesure de la trouver abracadabrante – arrêtait l’enquête par faute d’agression. Si le docteur était tombé tout seul sur la tête, il n’y avait plus d’affaire pour la police, et le cas du docteur U était maintenant du ressort des Méninges. C’était un moindre mal pour le docteur. Nul besoin de l’assassiner, je n’avais même pas à envisager ce genre d’hypothèse macabre, le séjour du docteur aux Méninges et le dernier article de presse sur cette histoire le disqualifiait irrémédiablement. Il ne représentait plus de danger puisqu’il n’y aurait personne pour croire à ses « sornettes ». Mais, un homme, pas plus fou que la moyenne, se trouvait subitement aux Méninges par ma faute. C’était moins pire que le cimetière, mais, ça m’écornait quand même l’éthique. Qu’il sorte vite et que j’oublie tout ça marmonnais-je dans ma tête pendant le stage du médecin aux Méninges. Et ce fut long, près de trois mois !

J’étais également en plein désarroi pour une autre raison : je n’aimais pas, mais alors pas du tout, que le docteur ait compris si vite et que la presse ait parlé de mes trois coeurs, même si c’était en mettant cette histoire dans la bouche d’un docteur confus et perturbé psychologiquement après être tombé sur la tête. Moi qui voulait rester discret, indétectable afin d’éviter les ennuis, c’était plutôt mal parti. Il me faudrait être plus vigilant et plus prudent. En frappant le docteur afin de couvrir ma fuite, je n’avais réussi qu’à focaliser l’attention sur moi. Heureusement que mon histoire était assez étrange pour que quiconque désirait la raconter semblait être « tombé sur la tête », sinon une enquête de police sérieuse m’aurait probablement confondu, surtout que je manquais d’expérience dans le domaine du jeu au chat et à la souris avec la police. Il fallait éviter que ce genre de bourde se renouvelle. C’est alors que, tirant cette conclusion, je remarquais que mon désarroi s’accompagnait de l’apparition et du mouvement rapide de fines lignes bleues lumineuses – des sortes de zébrures – courant sur la peau de mes mains. Plus mon désarroi était grand, et plus les zébrures se déplaçaient vite, plus leur bleu devenait intense.

Je quittai précipitamment le petit troquet où je m’étais installé boire le café, en prenant soin de mettre mes mains dans les poches afin que personne ne remarque les zébrures qui courraient le long de leur peau. Une fois chez moi, j’inspectai mon corps dans la salle de bain, nu comme un ver. Les zébrures étaient présentes uniquement sur mes mains, pieds, bras et jambes. Je pris peur, et les zébrures virèrent au vert. Leurs mouvements étaient plus saccadés. Quand je repris le contrôle de mes émotions et que le rythme des battements de mes coeurs retrouvèrent un tempo plus proche de la décontraction, les zébrures, devenues mauves, se firent plus discrètes. Leurs mouvements devenaient réguliers et prenaient l’allure pépère de la marche forestière de l’escargot. Tiens donc. Mes zébrures semblaient changer selon mes humeurs, autant par leurs couleurs que par le rythme de leurs mouvements. Du mauve lent et discret de la tranquillité, elles allaient vers des tons intenses bleu /vert accompagnant le désarroi et la peur.

J’allai dans ma chambre et dû renverser trois tiroirs pour mettre la main sur la loupe. Je pus observer de près mes zébrures qui semblaient être des ensembles de petites organites lumineuses présentes sur la peau. Probablement innombrables, elles s’allumaient et s’éteignaient successivement l’une à la suite de l’autre à grande vitesse, ce qui donnait l’impression de lignes en mouvement. Un peu comme au cinéma, où une succession rapide d’images fixes donne aussi l’illusion du mouvement des images. L’émergence de deux coeurs surnuméraires n’était donc qu’un début, les changements continuaient et il y avait très peu de chances pour que les zébrures en soient la dernière manifestation. Mais qu’était-il en train de m’arriver ?

Heureusement, nous étions au mois de novembre, je pouvais donc circuler anonymement avec des vêtements en manches longues, des pantalons longs et des gants. Les zébrures, quelques semaines après leur apparition, se cantonnaient toujours aux membres, mon visage était jusque là épargné. Quel bol. Il me fallait être rigoureux avec les gants, ne pas oublier de les mettre, et il n’y aurait aucune raison particulière pour que j’attire l’attention. Bon, on me regardait parfois bizarrement au bistrot d’à côté d’chez moi quand on me voyait subitement boire ma bière ou le café en gardant les gants - je n’en avais jamais porté jusqu'à présent. Ils devaient sûrement se moquer quand je n’étais pas là, c'était bien le genre de ces saoulots, mais bon, vu ce qu’il m’arrivait (quoi, d’ailleurs ?) ce n’était pas le moment d’arrêter d’aller au bar, mon lieu de pauses et de décontractions habituel.

Un matin, je descendis prendre du pain et entendis une esclandre dans le lavomatic de la rue menant à la boulangerie la plus proche. Un client prenait fermement à partie le responsable du commerce. « Monsieur, la première fois que c’est arrivé, je n’ai rien osé dire, mais là, voilà que ça recommence. Regardez mon linge, je viens de le sortir d’une de vos machines à laver. Regardez l’état dans lequel il est ! Il est plein de traces de... On dirait des traces de... Oui, des traces de ventouses ! Mon linge ressort plein de traces de ventouses, vous trouvez ça normal ?
- Des ventouses, des ventouses, c’est vite dit ça. » Un petit garçon, le fils du client en colère, tira la manche du pull de son père pour attirer son attention, ce qui lui valut de recevoir une torgnole. Clac ! « Ouin !
- Je t’ai déjà dit de ne pas me tirer la manche. Qu’est-ce tu veux ?
- Papa, tout à l’heure, il y avait une pieuvre dans la machine à laver. » Clac ! « Ouin !
- Je t’ai déjà dit de ne pas dire de sottises !
- Moi, tant que le linge il est propre, ventouses ou pas, j’ai remplis ma part du contrat. J’ai rien à rembourser si c’est ce que vous comptiez demander. La seule question qui compte, c’est “il est propre le linge ?”
- Oui, mais, et les traces de ventouses ?
- Ça doit venir de la pieuvre qu’a vu votre fils dans la machine
- Tu vois papa ! » Clac ! « Ouin !
- Ne vous moquez pas de mon fils, c’est un enfant après tout.
- Vous l’avez amené voir quoi au cinéma ces derniers temps ? M’est avis que ça lui est monté à la tête.
- Mais, de quoi vous vous mêlez, je...
- Ça doit être Henri Parterre, le magichien sourcier, j’ai toujours dit que c’était pas pour les enfants, ça. C’est plein de bêtes qui font peur. Et puis, l'histoire est débile, un chien magique qui cherche de l'eau !
- Je l’amène voir ce que je veux, non mais, arrêtez avec ça !
- Et toi t’arrête avec les ventouses, et tu craches la caillasse. Enfin, tu payes quoi.
- Bon, d’accord. »

Le client et le fils repartirent, le responsable de la laverie était soulagé. Il transpirais abondamment. Ça s’était bien passé, cette fois-ci. Cela faisait trois mois qu’il avait remarqué que, de temps à autre, une pieuvre apparaissait dans une machine à laver. Le fils avait raison ! Des clients finiraient par le remarquer. Là, j’ai eu de la chance se dit-il. La prochaine fois, ça risque d’être plus chaud ! C’est un coup à me faire fermer la boutique pour raisons sanitaires, ou à m’foutre en taule pour trafic d’animal sauvage si on m’gaule ! Il tira de sa poche une vieille coupure de presse toute froissée et la relu peut-être pour la millième fois. « UN FORCENÉ INTERPELLÉ AU LAVOMATIC. Hilgard B, résidant depuis vingt-cinq ans sans histoires au quartier des Funambules, a subitement entrepris de dévaster hier, dimanche, le lavomatic de la rue de la Ficelle. De sources policières, le forcené, en léger état d’ébriété, a été victime d’une bouffée délirante, persuadé qu’une pieuvre avait tenté de le saisir alors qu’il commençait à sortir son linge de la machine à laver. La pieuvre aurait tenté de faire entrer Hilgard B dans la machine à laver, du fond de laquelle elle semblait provenir. [...] »

Faut qu’j’aille voir les patrons du lavo’ d’la Ficelle débrouiller un peu cette histoire. J’vais aller boire quelques ptits canons avant, ça m’requinqu’ra.

pieuvreenne<<< Image de Tiswango. (License)

Il ne suffisait pas aux Pieuvréennes d’avoir découvert les « plaques tectoniques de l’espace » à treize dimensions et les failles quantiques dodécadimensionnelles naturelles reliant « en direct » des points potentiellement très éloignés de l’Univers lors du relâchement de tensions accumulées pendant des milliards d’années lors du choc entre deux plaques pour s’en servir afin de voyager dans l’espace. L’application pratique, technique et utilisable n’allait pas de soi. Les Pieuvréennes se mirent à la tache et arrivèrent à des résultats prometteurs à force de durs labeurs cérébraux inaccessibles même aux mammifères les plus mentalement outillés de la Terre étant donné qu’une pieuvre est constituée de très peu d’organes en dehors de la tête (juste les tentacules) et qu’en conséquence l’énergie absorbée par l’alimentation sert surtout au système cérébral. Pour l’humain, seuls 20 % de l’énergie absorbée sert au cerveau. Biologiquement avantagées, les Pieuvréennes – et cela doit être aussi le cas pour la majorité des autres espèces de pieuvres de l’espace – ne rechignent pas à fournir des efforts mentaux plus intenses et plus longs que ceux que nous pouvons fournir. Il s’ensuit des découvertes fabuleuses qui arrivent plus rapidement, par exemple, ici, sur la planète Piovra !, la mise au point d’un mécanisme permettant la création artificielle de failles spatio-temporelles quantiques de douze dimensions. Les Pieuvréennes arrivaient à créer avec leur machinerie indescriptible (ça vous ferait penser à des genres de gros marteaux-piqueurs truffés d’antennes et conçus pour être maniés à l’aide d’une dizaine de tentacules) des micro « tremblements d’Univers » qui créaient des failles quantiques locales par le même processus physique à l’origine des failles spatio-temporelles naturelles. C’était la première étape indispensable à l’élaboration du voyage spatial quantique dodécadimensionnel.

L’étape suivante était de loin la plus difficile à franchir : expédier un bidule à travers une faille, le faire revenir en bon état, et lui demander de ramener un truc pour prouver qu’il est bien allé loin. Autrement dit, les Pieuvréennes devaient tester l’envoi par une faille quantique dodécadimensionnelle d’une sonde robotique, lui faire attraper un échantillon de comète d’un système solaire lointain, et la faire revenir avec l’échantillon récolté. Pourquoi une comète ? C’était plus prudent. Les systèmes stellaires sont tous entourés d’un énorme réservoir extérieur de comètes (le Nuage d’Oort pour le Système solaire des Terriens), et si le système-test était habité par une espèce technologiquement évoluée, qui allait remarquer qu’aux confins de leur système il manquerait un petit morceau de comète ? Ça serait vraiment pas de chance, surtout qu’il n’y en avait pas pour longtemps : la sonde faisait irruption, cherchait une comète, en prenait un bout, initiait ensuite un micro-tremblement d’Univers créant localement une faille et faisant chuter localement à l’échelle quantique le nombre de dimensions des plaques de l’espace de treize à douze, énergie indispensable pour le retour à travers la faille ainsi créée.

À suivre...

Ce site, « Les fabuleuses pieuvres de l'espace », est une émanation du Site pataginaire qui, aux côtés des pieuvres de l'espace, évoque divers sujets. Les textes sur les pieuvres y figurent avec une autre présentation dans la rubrique pieuvres de l'espace. Nos recherches nous ont appris que les pieuvres de l'espace ont atteint un degré d'ontologie tel qu'elles méritaient bien qu'un site leur soit entièrement consacré.