Nébulah, une fillette de sept ans, m'a
affirmé avec
vigueur et détermination : « Dis-moi,
Monsieur Piovr
Octopovitch, je vous respèque beaucoup, mais, tes pieuvres
de
l’espace, c’est pas vrai !
- Comment ça ?
- Oui, passe que tu dis que les pieuvres de l’espace elles
peuvent tout faire. Hé ben, c’est pas vrai !
- Mais si ! Rappelle-toi de notre adage : “avec une
tête et
des tentacules, tu fais ce que tu veux. Avec une tête et des
tentacules, le champ des possibles est immense. Quoique puisse faire
une créature de cette planète – humains
compris
– il y a sûrement quelque part dans
l’espace une
pieuvre qui sait le faire, et, la plupart du temps, en mieux”
!
- Hé ben, Monsieur, t’es un menteur ! Je sais une
chose
que les pieuvres de l’espace elles peuvent pas faire !
- Qué ?
- Hé ben, comment la pieuvre de l’espace, avec
huit jambes et pas de bras, elle met le pantalon, hein ? »
En un sens, la fillette avait raison, et sa remarque très pertinente ouvre des pistes stimulantes à notre étude des pieuvres de l’espace, car elles ne portent nul vêtement. Non qu’elles ne le puissent vraiment, ce n’est pas une histoire de ne pas pouvoir enfiler un pantalon, même si ce n’est pas facile quand on a huit jambes et pas de bras, quoique l’on devrait plutôt considérer les tentacules non comme des sortes de jambes ou de bras, mais comme des membres hautement sophistiqués à part entière : nos membres de vertébrés ne sont que des tiges primitives peu articulées toutes raides et maladroites à côté de la souplesse magnifique des tentacules.
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Les conséquences que les pieuvres de l’espace subiraient du port de vêtements seraient lourdes et probablement fatales à leur survie. Et cette absence de vêtements a des répercutions sur leur mode de vie, leur comportement, leur psychologie et leur histoire. Un coin du voile épais qui les recouvrirait de mystères insondables sans les systèmes de simulations du Laboratoire de biologie de l’espace appliquée (section « pieuvres ») se lèvera légèrement à la lumière de nos analyses sous cet angle vestimentaire. Merci donc à Nébulah pour son intervention.
Pourquoi les pieuvres de l’espace ne portent-elles pas de vêtements, fussent-ils des capes maintenues par des sortes de serre-tête, qui éviteraient de peu pratiques « pantalons » à huit « jambes » ? D’abord, il faut être un peu fou pour porter une cape... Croyez-le où non, il y a quelques mois, un numéro que la revue de la CAF (la caisse d’allocations familiales) envoie à ses allocataires comportait un dossier sur le « comment sortir de l’alcool ». Parmi les ex-alcooliques illustrant l’article, l’un d’entre eux était vêtu d’une cape blanche... ça fait peur.
Mais, la cape, ce n’est pas le problème, elle pourrait même être compatible avec un équilibre mental serein pour des céphalopodes aliens, forcément aux psychismes différents des notres.
Le problème, pour les pieuvres de l’espace, est le port de tout vêtement en lui-même. En effet, comme nous l’avons expliqué dans l’article « Ce qu’il faut savoir avant de tenter d’établir tout dialogue avec une pieuvre de l’espace », les pieuvres communiquent avec l’ensemble de leur corps qui émet avec une grande vitesse des séries complexes de symboles lumineux à l’aide de cellules photogéniques placées sur la peau et sur les tentacules, voire les ventouses quand il y en a. Les tentacules se meuvent pour leur part en une gestuelle sémantique d’une chorégraphie admirable. Union de gestes tentaculaires et de lumières corporelles, voilà le moyen de communication des pieuvres de l’espace. Des vêtements éteindraient ce langage, et rendraient nos céphalopodes quasi-muets ! Sans lumière, la gestuelle des tentacules n’a sûrement aucun sens, un peu comme un ensemble de mots incohérents ou de syllabes intelligibles mais désordonnées n’auraient pas de sens pour un être humain. Par exemple, si je dis « Galba jboul’ga jmeuleuh », vous entendez très bien le son de mes syllabes, mais vous n’y comprenez rien.
Habillez une pieuvre de l’espace, vous la priverez de tout contact avec ses congénères. Les conséquences en seraient probablement terribles. L’existence même d’un langage chorégraphique-lumineux si complexe exclut toute possibilité de pieuvres de l’espace solitaires. Qui dit « communication » implique « avec des congénères ». Et plus le moyen de communication est élaboré, plus la richesse sociale des échanges est grande. À la limite, quelques pieuvres ermites pourraient s’habiller, mais plus par marginalité et par provocation que pour une autre raison.
La nudité biologiquement imposée aux pieuvres par la forme de leurs langages élaborés a un impact indéniable sur leurs sociétés et sur leurs mentalités. On les imagine aisément plus proches de la nature que nous. On imagine, par exemple, qu’elles ne peuplent pas l’ensemble de leurs planètes, évitant les zones trop froides. Ne peuplant que les contrées aux doux climats (de leurs points de vue), elles auraient moins développé que nous un esprit de conquête et de domination de la nature.
Gardons-nous de telles conclusions hâtives.
Cela peut paraître incroyable, mais le cas des cormorans nous éclaire beaucoup. Un article de la revue Pour la Science de septembre 2006 (« Des pêcheurs efficaces, les cormorans ») nous a appris que ces oiseaux à l’origine tropicaux ont su s’adapter à des régions polaires tel que le Groenland. Ils ne se sont pas adaptés à ce milieu physiquement, mais en changeant leur comportement : leur façon de se nourrir, en pêchant plus efficacement, leur permet d’acquérir l’énergie supplémentaire nécessaire à la vie dans des régions froides.
Les pieuvres de l’espace ont pu faire de même, et investir des milieux polaires sans pour autant inventer les vêtements. L’exemple humain n’est pas universel, et les pieuvres ont eut la possibilité d’investir l’intégralité de leurs planètes en adaptant leurs moyens d’acquisition de la nourriture indispensable à leur survie. Des pierres, des bouts de bois et des ficelles peuvent faire beaucoup !
Philosophiquement, il est indéniable que l’absence de vêtements rend les pieuvres de l’espace plus proches et plus respectueuses de leurs environnements que nous autre, les humains. Porter des vêtements, c’est porter de l’artificiel sur soi, c’est ainsi se différencier du reste du monde vivant. C’est se construire une humanité basée sur un aspect non-naturel. Les pieuvres de l’espace sont moins susceptibles de tomber dans ce genre de travers. Il existe sûrement des cas particuliers différents, mais nous pouvons estimer avec sérieux qu’elles « dominent » leurs planètes, non par une lutte contre une nature à conquérir, mais en en demeurant une partie intégrante.
A l’adage autoritaire « la liberté des uns s’arrête où commence celle des autres », les authentiques émancipateurs répondent avec pertinence « la liberté des autres étend la mienne à l’infini ». Par analogie, nous pouvons dire que là où l’humanité pense commencer quand la nature s’arrête, les pieuvres de l’espace étendent celle-ci « à l’infini ». À quelques déviances près – l’Univers est si vaste qu’elles existent forcément – la pieuvre de l’espace est pacifique.
Ce site, « Les fabuleuses pieuvres de l'espace », est une émanation du Site pataginaire qui, aux côtés des pieuvres de l'espace, évoque divers sujets. Les textes sur les pieuvres y figurent avec une autre présentation dans la rubrique pieuvres de l'espace. Nos recherches nous ont appris que les pieuvres de l'espace ont atteint un degré d'ontologie tel qu'elles méritaient bien qu'un site leur soit entièrement consacré.