samedi 13 janvier 2007, par Piovr Octopovitch
Une taupe. Une taupe dont le nez possède un faisceau de tentacules. Non, vous n’êtes pas dans un monde extrasolaire encore à découvrir, mais bel et bien sur Terre, en Amérique du Nord, dans une région allant du Sud-Est du Canada au Nord-Est des Zuessa. « Le condylure étoilé (Condylura cristata) doit son nom à sa truffe extraordinaire, bien rose et portant vingt-deux tentacules. » (« Faire des bulles pour renifler sous l’eau », Futura-Sciences, 27/12/2006) Presqu’aveugle, cette taupe magique se servirait de son formidable appendice que Cyrano il pleure sa mère en voyant ça, un véritable « nez pluritentaculaire » selon l’article cité plus haut, pour repérer les proies sous-marines qu’elle chasse. « Les tentacules servent [...] à palper les sédiments et les plus longs, musclés, à amener les proies vers la bouche. »
<<< Le condylure étoilé. Image du domaine public, via Wikipedia
Une taupe avec des tentacules. C’est à donner envie de chercher une explication magique (un acte de sorcellerie), extraterrestre (des pieuvres de l’espace ont essayé de se téléporter en Amérique du Nord, mais il y a eu un incident avec des taupes lors de la remolécularisation des poulpes du cosmos), extra-univerrestre (la créature viendrait d’un autre Univers, perpendiculaire au notre, et aurait jailli dans le notre à la suite d’un couac de l’espace-temps quelconque genre déchirure fugace mais suffisante du tissu fondamental cosmologique ou autre soubresaut, frisson ou tremblement patadimensionnel), industrielle (une conséquence des cultures OGM, une fuite radio-active) ou savanfolle (l’acte d’un savant fou). Nous proposerons en fait une hypothèse plus vraisemblable n’ayant nul besoin de ces artifices, aussi pertinents puissent-ils paraître. Changement de continent.
« Une nouvelle espèce de chauves-souris à ventouses a été découverte à Madagascar.
[...] Ces chauves-souris sont équipées d’un
appendice plat au bout des pattes qui fait ventouse. La nouvelle
espèce de ce type, Myzopoda schliemanni
a été découverte dans les forêts humides de
l’Est de l’île, expliquent les biologistes du Field
Museum (USA) et leurs collègues malgaches. » (« Les
chauves-souris de Madagascar s’accrochent », Sciences et
Avenir / nouvelobs.com, 8/1/2007)
Une chauve-souris.
Oui.
Avec des ventouses.
Tiens donc.
Deux variétés de mammifères non apparentés, fort éloignés des mollusques et, tout de même, la présence de tentacules et de ventouses. Deux caractéristiques importantes de nos pieuvres terriennes se retrouvent ici chez des animaux d’un autre embranchement zoologique. On appelle ce phénomène la convergence évolutive où les contraintes du milieu peuvent amener diverses sortes de créatures vers des « réponses » anatomiques similaires.
À travers l’exemple de la
taupe fantastique, nous voyons que les tentacules sont des structures
biologiques très pratiques. « Longs et musclés
», ou autres, ils semblent au top pour « palper » et
pour saisir des choses. « Avec des tentacules, tu t’en sortiras bien, petit con » semble nous dire l’évolution.
La seule question qui vaille est donc : pourquoi tous les animaux de la
Terre ne possèdent-ils pas de tentacules ? L’histoire de
la vie, une suite d’évènements imprévisibles
se succédant les uns à la suite des autres – soit,
la contingence, chère au paléontologue Stephen Jay Gould
? En d’autres termes, si le grand film de la vie sur Terre
s’enroulait vers le passé de quatre milliard
d’années en arrière, il ne se déroulerait
pas ensuite de la même façon une seconde fois. La
chaîne des évènements ne serait jamais deux fois
exactement la même, et quelques différences suffisent
à changer la face de l’évolution.
Mais il y a probablement des constantes. Sa présence dans des
lignées si différentes que les céphalopodes et les
taupes indique que le tentacule compte parmi ces constantes. Et il y a
de bonnes raisons de penser que ces constantes sont aussi
présentes là-bas, dans l’espace. C’est le
propre des constantes que de se retrouver un peu partout. « Une
étoile sera toujours une étoile et reconnaissable en tant
que telle, où qu’elle se trouve, c’est partout
hydrogène qui fusionne en hélium et bazar
magnétique » semble nous dire l’Univers. Tendons nos
oreilles pataginaires pour écouter-voir s’il ne nous
dirait pas aussi « la
vie, si t’attends un peu, disons un milliard
d’années, ça finit toujours par avoir des
tentacules quelque part là dans un coin vas-y voir si tu ne me
crois pas. »
Nous avons vu dans un article précédent
que la ventouse n’est pas forcément présente chez
les pieuvres de l’espace, et qu’elle l’est
probablement – en-dehors des carnivores – chez des
variétés de pieuvres troglodytes, des montagnes et aussi,
quoiqu’en moins grand nombre du fait des tentacules pouvant
servir à s’enrouler autour des branches, les arboricoles.
Elles leurs servent à se fixer à des supports fortement
inclinés. Hé bien, avec la chauve-souris malgache, nous
avons une convergence évolutive entre un mammifère
arboricole possédant des ventouses avec des pieuvres de
l’espace arboricoles qui possèdent aussi des ventouses.
« Les chauves-souris à ventouses profitent souvent des
plantes à larges feuilles pour s’installer [...] Les
Myzopoda peuvent s’accrocher à ces feuilles lisses et
larges. » Comme nous l’avions vu dans notre article
précité, quand une pieuvre développe ou garde des
ventouses, en dehors du régime alimentaire (les ventouses des
pieuvres carnivores leurs permettent de mieux saisir leurs proies),
c’est pour se fixer à des surfaces fortement
inclinées, comme ici les chauves-souris de Madagascar sur leurs
feuilles !
Grâce à la
présence éventuelle de ventouses, les tentacules
permettent un éventail des possibles des plus larges. Ils ne
peuvent qu’abonder dans l’Univers.
Il
est clair qu’en ce qui concerne la planète Terre, les
pieuvres ne sont pas omniprésentes, elles sont mêmes
plutôt marginales, minoritaires, underground ou, à vrai
dire, « underseas », oui, mais bel et bien
présentes, et depuis fort longtemps. Le cas de notre
planète (présence marginale de pieuvres), pose une grande
question à la biologie de l’espace appliquée :
est-il seulement possible qu’une planète abritant la vie
n’héberge aucune variété de pieuvres ? Du
tout ? Le cas de la Terre pourrait indiquer que non. Dans ce cas, il
existerait pour tout monde habité un indice TPIP – le Taux planétaire inexpugnable de pieuvres
– à mesurer. La présence de tentacules chez des
taupes et de ventouses chez des chauves-souris montre bien que ces
attributs jaillissent spontanément dans n’importe quelle
branche de la vie. Vous aurez beau vous éloigner du standard
« pieuvre », les tentacules et les ventouses semblent finir
par vous rattraper quand même. Il suffit alors de posséder
une tête pour, déjà, avoir dans son organisme la
triptyque céphalopode : une tête et des tentacules,
parfois des ventouses. Comme avec ça, tu fais tout ce dont peut
rêver un être vivant pour mener une vie digne et
décente, les autres organes, devenus inutiles comme les pattes
et le ventre finiront par se résorber et disparaître.
Voilà la pieuvre des terres.
La tête étant omniprésente chez les animaux
pluricellulaires, on comprend aisément qu’une fois les
tentacules apparus, et pourquoi pas les ventouses, la pieuvre devient
quasi-inévitable dans tout écosystème. C’est
ce qui s’est passé sur notre planète, sauf que
ça a l’air de s’être cantonné aux mers
et aux océans. Les continents sont (encore ?) vierges de
pieuvres. Nous pouvons
établir que la Terre n’est pas très
éloignée du TPIP intrinsèque à toute vie
dans l’espace. Le processus biologique universel menant aux
pieuvres, que nous nommerons« pieuvrification du vivant » – semble s’être subitement brutalement interrompu. Un coup de la contingence gouldienne ?
Nous
venons de voir que la pieuvre finit inexorablement par «
apparaître » quand la vie prend un tour sérieux sur
un monde. Un corps de pieuvre permettant presque tout, il n’y a
pas besoin, à ce stade, d’évoluer vers
d’autres formes. Les pieuvres, sur des centaines de millions
d’années, restent des pieuvres. Nos pieuvres de la Terre
sont donc quasiment identiques à leurs ancêtres d’il
y a plus de deux cent millions d’années. Certains
penseront qu’elles sont archaïques puisqu’elles
gardent tout le temps une forme ancestrale très ancienne. Nous
pensons ici le contraire : elles ont atteint la forme optimum quasiment
tout de suite, ce qui est gage d’une organisation biologique
très sophistiquée, puisque simple, rapide et
répondant à tous les besoins. Elles s’y
maintiennent, donc, puisque l’évolution ne pousse pas
à changer une « formule qui gagne ». Les pieuvres
aquatiques terriennes sont très stables contrairement au chaos
évolutif des animaux des terres qui ne cessent de changer au
cours du temps. Absentez-vous cent millions d’années et
hop ! Vous n’y reconnaissez plus votre monde ! Cela montre bien
que les non-pieuvres sont des êtres approximatifs en
perpétuel devenir. Certains développent – il leur
en aura fallu du temps ! – une poignée de tentacules (la
taupe), quelques ventouses (la chauve-souris). Et si cela indiquait une
tendance importante de l’évolution de la vie de notre
planète ? Là
où les sceptiques diront que l’absence actuelle de
pieuvres hors des eaux montre que l’organisation biologique
« pieuvre » n’est pas si top que ça, nous
pouvons de notre côté voir dans ces deux exemples, la
taupe et la chauve-souris, les indices du début d’un
processus évolutif menant vers les pieuvres des terres. La
pieuvrification.
Il ne sert à rien, comme le font les anti-pieuvres primaires, de
reprocher à nos pieuvres océanes de n’avoir pas su
sortir des mers, ce qui montrerait leurs limites. Les
cétacés, après une escapade sur les terres, y sont
bien retournés, eux, c’est bien que les terres, ce
n’est pas si « sensass » que ça. Les pieuvres
doivent bien se marrer à voir les dauphins encombrés par
des attributs d’animal terrestre comme la lactation et
l’obligation de remonter sans cesse respirer à la surface.
L’absence actuelle de pieuvres sur les continents ne prouve en
rien un quelconque « manque » en elles. Le problème
pour l’émergence de pieuvres sur les terres est
qu’elles sont peuplées d’êtres primitifs, les
vertébrés, encore pas finis, qui mettent un temps fou
à se rapprocher du standard biologique universel : une
tête, et des tentacules. La taupe à tentacules et la
chauve-souris à ventouses nous montrent que le processus est en
cours !
Notre planète ferait finalement partie des planètes à compter au rang de « planètes à pieuvres » ou « planètes pieuvriques »,
suffit d’attendre que l’amorce lancée par notre
taupe et notre chauve-souris continue son oeuvre. La phase
contemporaine est transitoire, mais il va falloir faire vite, car il ne
reste à la Terre qu’un milliard d’années
d’habitabilité devant elle, puisque le Soleil, en prenant
de l’âge, chauffe de plus en plus et transformera la Terre
en planète brûlante, véritable Vénus
n°2. Une étoile comme le Soleil, qui « vit » dix
milliards d’années, ça semble limite pour laisser
la nature pieuvrifier la planète entière. Quoiqu’il
reste encore du temps comme on l’a vu. Le milliard
d’années à venir suffira-t-il ?
L’idéal pour les pieuvres serait des étoiles qui
durent plus longtemps. Hé bien, ce type d’astres pullule !
Quatre-vingt pour cent des étoiles sont moins massives que le
Soleil, plus froides, et durent plus longtemps : ce sont les
étoiles dites de type « naines rouges »,
véritable standard stellaire universel. Les astronomes disent
qu’elles peuvent durer des centaines de milliards
d’années ! Alors, autour des étoiles naines rouges, est-ce là où nichent les pieuvres ? L’idée est séduisante, nous y consacrerons un article dans bientôt peut-être.
Ce site, « Les fabuleuses pieuvres de l'espace », est une émanation du Site pataginaire qui, aux côtés des pieuvres de l'espace, évoque divers sujets. Les textes sur les pieuvres y figurent avec une autre présentation dans la rubrique pieuvres de l'espace. Nos recherches nous ont appris que les pieuvres de l'espace ont atteint un degré d'ontologie tel qu'elles méritaient bien qu'un site leur soit entièrement consacré.